Les ichthyoses ou la maladie face à la discrimination

samedi 20 avril 2019

Plus que 10 jours avant l’Ichthyosis Awareness Month (IAM), un événement de sensibilisation à la maladie tenu par l’organisation américaine Foundation for Ichthyosis & Related Skin Types (FIRST). Un objectif d’information nécessaire eu égard à l’actualité récente, mais aussi des dernières années.

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Affiche de la campagne annuelle IAM

Combattre les vicissitudes de la sous-information

Les ichthyoses désignent un groupe de maladies génétiques ayant en commun un dysfonctionnement de la couche cornée en raison d’une anormalité d’une ou plusieurs protéines censées interagir avec elle. L’hyperkératinisation (un renouvellement trop rapide des cellules de la peau) provoquée par cette anormalité engendre une peau excessivement épaisse ou mince, semblable à des écailles, d’où son nom "ichthyoses", ’ichty’ étant la racine grecque du mot "poisson". Mis à part une apparence physique inhabituelle, la maladie présente un risque constant d’infection, de température élevée, de déshydratation, de perte soudaine de calories et de cloques chroniques. Non contagieuse et incurable, cette pathologie affecte tous les types de population, et l’on estime qu’environ 16 000 nouveau-nés sont atteints d’ichthyose chaque année.

De telles caractéristiques en font une maladie à faire connaître au plus grand nombre, non seulement pour promouvoir la rechercher thérapeutique, mais aussi pour rassurer les esprits dans un contexte de méfiance ou de rejet face à l’’inconnu. En effet, cet événement intervient deux mois après qu’une mère et son enfant, atteints par la maladie, ont été priés de quitter leur avion lors d’un vol domestique aux États-Unis, le personnel navigant redoutant une contagion à bord ainsi qu’une plainte des passagers pour inconvenance. À noter que le scandale s’était achevé par un remboursement total des billets doublé d’excuses publiques de la compagnie aérienne. Cette affaire n’est cependant pas la seule à avoir illustré les stigmatisations sociales subies par les patients. En janvier 2017, la médiatisation du cas de l’artiste et chanteuse Bailey Pretak, souffrant d’ichthyose lamellaire, avait permis de mettre en lumière les moqueries dues à sa "peau écailleuse", mais aussi comment affronter ce type de situation.

Parallèlement, il est de plus en plus courant d’observer les proches des patients partager leur expérience, en particulier parmi les parents. À travers des blogs, des médias ou des sites communautaires, ils expriment désormais leurs réflexions sur la vie quotidienne engendrée par la maladie, et ce dans un but de promotion de conseils utiles, mais aussi de tolérance. Le travail de Courtney Westlake, ou le témoignage du docteur Victoria Seb Khing, exemplifient cette volonté de sensibiliser le grand public par un discours fondé sur l’intimité et la proximité.

Les graves conséquences de l’ignorance

Le sujet des discriminations à l’encontre des individus souffrants de maladies rares s’avère encore plus pregnant dans les pays en voie de développement. À titre d’exemple, certains pays africains sont catalogués comme des lieux où, en plus du manque de traitements adéquats, les patients peuvent subir un rejet social entier. En 2012, un article intitulé "Stigmatisation sociale des deux soeurs atteintes d’ichthyose lamellaire à Ibadan, Nigéria" était publié dans le Journal International de Dermatologie, faisant alors état de deux adolescentes confinées à leur domicile depuis leur naissance, et dont la famille était condamnée à vivre en paria. Le récit, n’épargnant aucun détail sur les conditions de vie alarmantes des jeunes filles, se terminait par une conclusion sans équivoque : "Dans cet environnement, la peur de la stigmatisation envers les maladies de peau est tellement dévastatrice qu’elle entraîne, pour les patients, la privation d’éducation, d’emploi, de mariage et d’aide médicale immédiate."

Un autre exemple symptomatique de cette tendance a été rapporté en 2016 au Kenya, où le cas de deux enfants souffrant d’ichthyose sévère et ne bénéficiant d’aucun traitement adapté, a suscité une vive émotion. Selon certaines sources locales, le contexte social y est d’autant plus difficile que, en raison de certaines croyances culturelle, les familles et les communautés estiment que les ichthyoses sont l’oeuvre de la sorcellerie. Plus dramatique encore est le témoignage de journalistes et d’observateurs locaux rapportant des meurtres ou des non-assistances délibérées face aux enfants souffrant de handicap. En dépit d’une campagne sur les réseaux sociaux pour inciter à prendre en charge les deux patients kenyans, aucune aide concrète ne leur avait été apportée par la suite.

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Extraits de la campagne Twitter ’Savewajirkids’

Par ailleurs, d’autres situations de stigmatisation sociale et d’insuffisance des traitements ont été mises en lumière au Népal et en Inde, avec, cette fois-ci, une issue bien meilleure pour les patients concernés.

Plus qu’une simple campagne d’information

Pour toutes ces raisons, les familles et les proches des patients sont invités à se rassembler partout dans le monde durant le mois de mai pour la campagne IAM. Leurs actions, comme la diffusion d’information éducative ou la rencontre avec leur voisinage et leur collègues de travail, auront pour objectif d’exposer les défis et les espoirs portés par la communauté constituée des malades et de leur entourage. Ces initiatives seront également secondées par des campagnes sur les réseaux sociaux incluant les hashtags suivants : "#ichthyosisawareness", "#FIRST", "#ichthyosis", "#IAM19". Enfin, un autre mode de sensibilisation concerna l’organisation d’interviews dans des stations de radio et des journaux locaux.

Bien que l’information et la prise de conscience soient des sujets cruciaux, le but essentiel est peut-être d’une autre nature. Comme l’explique Courtney Westlake, "Même si nous ne pas comprendre entièrement ce qu’implique, pour les patients, de vivre une telle maladie, nous pouvons apporter notre attention. Nous pouvons nous pencher sur leur vie quel que soit le chemin qui les attend, ou qu’ils ont déjà parcouru.[...] Vous pouvez entendre les mots “Ichthyosis Awareness Month” sans que cela ne demeure dans votre esprit. Mais j’espère que, quand vous lirez les histoires de ma famille, vous réaliserez à quel point elle est similaire à la vôtre, à quel point mes sentiments de mère sont similaires aux vôtres en tant que parents ou grand-parents."

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Page d’accueil du site de Courtney Westlake

En effet, dans le cas de telles maladies, le fardeau du patient n’est pas uniquement physique et social, mais aussi psychologique, ce qui engendre une responsabilité affective supplémentaire pour ses proches. Courtney Westlake l’affirme en ces termes : "Quand vous lirez comment un père s’occupe, avec tendresse, des cheveux de sa fille, cela ne sera pas à propos la "sensibilisation autour des ichthyoses", mais plutôt à propos d’un amour inconditionnel que nous pouvons tous ressentir pour nos nouveau-nés. Quand vous lirez que je souhaite que les autres parents construisent des ponts et non des murs autour de nous, ce ne sera pas à non plus pour la "sensibilisation autour des ichthyoses", mais plutôt un récit de la gentillesse et de la tolérance d’une mère envers son enfant."

Cependant, une autre bloggeuse du nom de Carly Findlay, écrivaine et activiste impliquée dans les combats qu’impliquent les ichthyoses, avait bénéficié, en 2013, d’une tribune dans The Guardian, laquelle mettait en garde contre le passage d’un extrême à l’autre, à savoir l’excès d’attention. "Les bonnes intentions peuvent être impolies et présomptueuses. Je déteste que les gens pensent que ma vie soit si difficile au point qu’il faille m’offrir une prière ou de la pitié. [...] Je déteste que les prières qu’ils m’offrent soient le produit d’une culpabilité personnelle due au malaise de ma présence, surtout lorsque je ne suis pas en train de souffrir. [...] Ces bonnes intentions mal placées demeurent ce qu’elles sont : intrusives et condescendantes.", a t-elle déclaré dans le quotidien.

En définitive, lorsqu’il s’agit d’aborder la question sociale des ichtyoses, il ressort des premiers concernés une volonté claire de faire comprendre les événements de sensibilisation comme une invitation à intégrer la maladie dans le champ de la normalité, ce qui peut avoir un retentissement extrêmement positif sur la vie quotidienne des patients. Ainsi, le message semble désormais le suivant : lorsque ces derniers sont traités comme n’importe quel individu, les bénéfices les plus inattendus peuvent être obtenus.

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